11 juin 2002 (suite)
Bon, nous voilà arrivés sur la plus vaste et la seule habitée parmi les îles de Flatey. Accueillis par des morues en train de sécher, notre but et non des moindres, observer et photographier des phoques ainsi que tenter de comprendre comment l’homme a influencé l’écologie de cette petite île. Petite, elle l’est en effet puisque nous en faisons le tour en moins de deux heures et pas l’ombre d’un poil de phoque. Quelques macareux moines et des guillemots miroir nous ravissent, les sternes et les eiders à duvet commencent à nous énerver puisque nous ne voyons que ça depuis Reykjavik. On prend de nombreuses photos des nids d’eiders et de poussins, de mouettes tridactyles, c’est joli mais toujours pas de phoques. On apprend que l’Homme les chasse depuis son installation sur ce petit bout de terre et les pinnipèdes, pas fous, doivent se méfier. Déçu, je coupe à travers la vase, retourne chaque caillou, cherche aux jumelles, au télescope, interroge mon satellite personnel …Rien. V et moi décidons de questionner les gens du village pour savoir s’il y a souvent des phoques par ici comme le clament les guides touristiques. J’apprends rapidement la vie du phoque en 13 leçons, je constate, ému, que phoque se dit « seal » en anglais, « sel » en Islandais et cherche des gens susceptibles de répondre à la question suivante : « Where the seals are ? ». V, pour ne pas mouiller ses chaussures, fait un détour de plusieurs années lumières pour rejoindre le village. Las de l’attendre, malgré l’agréable compagnie d’un vif et grand gravelot, je continue ma quête Saint Grallienne. Mais, non, je ne rêve pas, il n’y a personne ici, le village est désert. Je croise deux ornithologues qui confirment mes soupçons : les phoques ont élu habitat sur les îles au large et ne fréquente guère plus l’homme. Pour avoir une chance de les observer, il nous faut un bateau mais à moins que nous ne construisions le notre avec des fétuques, il n’y a pas plus de bateaux ici que de magrets au menu de ce soir. Un autre ornithologue filme une bécassine qui couve ses œufs, et je n’ose pas le déranger. Ah ça des bécassines, il y en a sur Flatey, des chevaliers gambettes en veux-tu en voilà, des huîtriers pie à foison, des sternes qui gueulent il y en a pléthore, des Eiders qui nichent, nagent et roucoulent ça pullulent. Mais des phoques que nenni, nada, nič, rien. Une larme coulant de mon œil gauche, j’annonce la mauvaise nouvelle à V qui dans ses tours et détours et, finalement avec les chaussures humides, se doutait un peu de cette sombre échéance. Désappointés, nous décidons, en attendant le bateau, de lire ; mais nous oubliâmes un détail important : il fait froid en Islande. Alors, comme il nous reste trois heures à tuer, nous prenons chacun notre Don Quichotte (moi le tome 2 et V le tome 1) entre les mains et cherchons un café. Le seul de la ville est fermé pour cause de travaux mais, exceptionnellement, nous fait l’honneur de nous servir, Takk Fyrir. On lit et le temps passe. Une heure avant de quitter l’île, on visite une église luthérienne ornée de peintures murales représentant macareux, pygargues, eiders et phoques, en gros la faune qui autrefois peuplait l’île de Flatey. On analyse alors la situation. Soit l’homme, en arrivant ici a tout bousillé, soit nous n’avons pas eu de chance car nous n’avons vu ni aigle, ni pinnipèdes.
Détail amusant, nous avons trouvé un cadavre de Cormoran et d’autres avi-squelettes de toutes sortes et ça a donné envie à V de se taper des trips gothiques avec bougies et pentacles.
Quelque chose ne tourne pas rond chez mon collègue et il est grand temps qu’il consulte un psychologue.
Le retour en bateau fut calme et, arrivés à Brjanslaekur, on plante la tente près d’une rivière. V lessivé, fait une lessive avec du savon de Marseille non polluant pendant que j’innonde la tente avec du thé à la menthe (maladresse provoquée sans doute par la malnutrition ainsi que la fragilité de mes métatarses). Têtu, je persévère et ce thé frissonnant cette fois dans la casserole, on jurerait qu’il nous souhaite une bonne nuit.
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