22 juillet 2002

Lakagigar

Petit déjeuner et on repart. Le Laki n’est plus qu’à une quinzaine de km. Au bout de 5 km, nous sommes doublés par quelques voitures qui ne s’arrêtent pas et l’espoir de terminer ce périple au chaud assis sur une banquette s’effondre au fur et à mesure que les automobilistes nous lâchent leurs «désolé ». Nos mines se déconstruisent certainement petit à petit et c’est alors qu’une voiture s’arrête.
Une dame descend du véhicule pour réveiller à l’arrière une adorable gamine qui dormait à poings fermés. Elle nous propose du coca que l’on refuse poliment car c’est pas très bon le coca sauf peut-être avec du whisky. L’homme qui conduit est guide et dirige son 4*4 avec peps et autorité. Les 10 km qui suivent ressemblent à s’y méprendre à ceux que nous avons traversé la veille, sauf qu’on est assis.
Puis au détour d’un plateau, nous entrons enfin dans Lakagigar. Sur 5 Km, la voiture slalome habilement entre les champs de lave parfois recouverts de mousse. La jeune dame nous expose l’impact indirect de ce volcan sur la révolution française. En effet, la dernière éruption du Laki date de 1783. Ce fut la plus importante des temps historiques dans le pays puisque pas moins de 12 km3 de lave furent éjectés lors de cette catastrophe qui causa la mort par empoisonnement au fluor de 200 000 ovins, 11 000 bovins et 28 000 chevaux. Une importante famine résultant de ce carnage fit plus de 10 000 morts en Islande soit un cinquième de la population totale. Le nuage de cendre de 8 000 km2 provoqua un obscurcissement du ciel jusqu’en France, une diminution notable des récoltes et une grogne des paysans affamés qui, en plus d’autres raisons bien connues des Français aboutira à la révolution qui secoura le pays quelques années plus tard.
On arrive au parking et grimpons le Laki sans tarder. En haut, nous jouissons d’une vue spectaculaire sur cette chaîne de 135 volcans éventrés formant une ligne étonnamment droite d’environ 25 Km de long.
Au loin, nous apercevons une langue du Vatnajökull et une immense plaine peu colorée. Encore une image sinistre et violente de l’Islande, toujours et encore plus impressionnante et déroutante, toujours plus belle, toujours plus hostile. En redescendant, on croise deux Islandais qui après leur promenade nous invite à rentrer avec eux dans leur belle voiture blanche. Deux secondes après être montés dans la caisse une bière apparaît comme par magie dans notre main droite. Sur le trajet, le conducteur nous apprend que lors de cette éruption de 1783, le prêtre de Kirkpop proclama une messe qui stoppa la lave à quelques mètres de l’église. Depuis ce jour Kirkpop est une ville très chrétienne et aucun infidèle ne peut y séjourner. La compagne du chauffeur, qui a deviné que la démonte nous attirait comme le miel agit sur l’ours, nous propose du tabac à priser. Résultat : rires, éternuements et mal au nez. Le voyage retour est très long et après une courte pause à Fragifoss (la belle cascade en islandais) nous parlons moutons. En septembre, le rapatriement des ovins s’effectue en trois fois à l’aide de chevaux. Parfois, quelques bêtes oubliées passent l’hiver dans la montagne et plus rarement y survivent. Comme quoi, un animal au regard si vide peut se révéler étonnamment résistant à la rigueur du climat.
Ô mouton islandais, si tu croises sur ton chemin le territoire d’un labbe, tu verras ton faciès se faire salement gourmander par les violents piqués du dangereux volatile dérangé. S’il s’agit d’un labbe parasite, tu t’en sortiras certainement avec contusions et bleus qui coloreront ta fuite loin du nid de l’oiseau. Seulement, prends garde, car si c’est le grand labbe qui font sur toi tel un vautour fauve sur un cadavre de gnou, que ta fuite soit alors prompte car tu serais victime de brutales désillusions, de même que ton agneau qui, pourrait bien se retrouver assommé par les assauts du grand oiseau. Telle est la loi en Islande.
De retour en ville, nous mangeons tant que nous pouvons et Blaise décèle un lever de lune qu’il va observer au pied de la cascade qui traverse Kirkpop et qui provient d’un petit lac (Systravatn) situé derrière les montagnes surplombant la ville. L’obscurité une heure après le coucher du soleil commence à ressembler à ce qu’on appelle nuit et Blaise, attentif, aperçoit une étoile. Nous n’en avons pas vu depuis plus de deux mois. Ce n’est, en fait, pas vraiment une étoile puisqu’il s’agit de Vénus, mais nous sommes émus.


Pustule volcanique a Lakagigar