25 juillet 2002

désert noir

Vers 11 H, c’est le coup de grâce. Une bourrasque titanesque s’abat sur toit et moral. La tente manque de peu de s’envoler et dans l’urgence, nous décidons d’abréger nos souffrances et de quitter ce lieu. On range Jamet dans la hâte, Blaise constate à la lumière du jour l’état de ses pieds et chaussettes et on met les voiles. Le temps n’a pas évolué. Trois kilomètres plus loin, à travers la plaine, nous arrivons au deuxième refuge, installé dans un endroit qui semble être le plus venteux du globe. A l’abri d’un cabanon qui fait urinoir et douche (payante), nous prenons un petit déjeuner délicieux, puis, apaisés, nous repartons. Le sentier, sur 5 km est entouré d’un paysage vallonné marqué par quelques ruisseaux à traverser judicieusement. Le temps s’améliore. Nous effectuons une nouvelle pause-clope dans une ferme. La prochaine étape est de 11 Km jusqu’au troisième refuge. Après avoir slalomé entre de vertes montagnes et avoir passé un long gué, le désert nous attend. Concernant les gués, la méthode retenue est simple et rudimentaire :
- Ne pas chercher 3 heures un lieu de traversée plus facile en remontant la rivière. Comme disent les Islandais croisés sur la route : No way to escape !
- Déconnecter son cerveau de son corps.
- Enlever chaussures et chaussettes.
- Relever le pantalon jusqu’au genou.
- Traverser le gué en chantant faux et fort.
- Essuyer ses pieds meurtris par l’eau glacée.
- Remettre ses affaires et bouger les pieds, si c’est encore possible.
- Réactiver le mode cerveau.
- Dire que ce n’était pas dur.

Blaise maudit fleuves et pieds mais je perçois une nette amélioration dans son appréhension des éléments. Ainsi, il ne grogne presque plus et accepte (ou feint d’accepter) les caprices démentiels du temps islandais.
Le problème, c’est bel et bien ses pieds. Une partie n’a plus de peau, l’autre à cause des engelures et de l’humidité constante est bleue et ridée. Les frottements induits logiquement par la marche lui font donc vivre un calvaire.
Mais revenons à ce désert de poussière noire. Le vent qui est de retour et vient de face retournerait des ongles, mais il se contente de ralentir notre progression. Déjà, marcher longtemps sur du sable n’est pas aisé, mais avec un vent de face, c’est éprouvant. La pluie n’arrange rien. Alors, tête baissée, on ne cherche plus à contempler les quelques silènes uniflores et autres Arméries maritimes qui poussent ici on ne sait comment, on tente de progresser dans ce décor lunaire. Après un pont, nous croisons une famille de Français perdue comme nous. Une femme, un homme, deux enfants courageux et tout ce petit monde venant du Jura. C’est eux qui dormaient dans la tente jaune croisée hier soir, nous les rencontrerons souvent et toujours avec grand plaisir.
Cette traversée fut longue et monotone et nous parvenons vers 17 H au refuge où nous dînerons, toujours dans les toilettes. On y retrouve nos compatriotes jurassiens qui repartent sans tarder. Malgré le brouillard, on se fait une raison, c’est alors que notre bonne étoile, que l’on pensait égarée à tout jamais, resurgit sous la forme d’une jeune guide Islandaise parlant le français.
Elle nous invite dans le refuge pour un café. A l’intérieur, nous trouvons tout un groupe venu des quatre coins de Frakkland (France en islandais). Ils nous proposent de passer une nuit au chaud en leur compagnie. Intérieurement, nous jubilons et remercions tout le monde. Quel retournement de situation, nous passons de froid à chaud, de mouillés à secs mais restons de dur à dur puisqu’il n’y a plus de lits disponibles, peu importe et quelle joie.


Les pieds de Blaise