24 juillet 2002 (fin)

Premier refuge

Finalement on aperçoit au loin le drapeau islandais, soulagement, clope et prise difficile de décision. Il nous faut continuer car la tente, sous ce vent, ne resterait pas plantée plus de 13 secondes, ce qui est insuffisant pour accomplir un cycle de sommeil digne de ce nom. Le prochain refuge est à 10 Km, il est 22 heures et si on suit bien les piquets, ça devrait aller. Après le col, nous traversons un petit désert de cendres volcaniques (L’Hekla, dont la dernière éruption date de 1991, n’est pas très loin). On ne voit rien ou presque. Le ciel est blanc, le sol est noir, V, en face, n’est qu’une ombre. Parfois, nous passons sur de la glace fondue à cause des sources d’eau chaude et fumante. La neige est de plus en plus présente, tout autour de nous ça fume. Le sentier monte et descend, j’ai de plus en plus mal aux pieds et aux mollets mais, étrangement, le moral reste bon. J’imagine mal comment un paysage peut être plus inhospitalier, plus sordide, plus glauque, plus triste. Noir, blanc, fumée, 10 m de visibilité. On devine, sur la gauche, un glacier (le Kaldaklofsfjöll), ça sent le soufre. On continue pendant deux heures à monter et descendre pour ne plus faire que monter dans la neige. Je n’en peux plus. Arrivés en haut de cette pente, le brouillard se lève un peu et on peut voir, au loin, le trajet qu’il nous reste à accomplir avant le second refuge. D’abord une descente assez raide, puis une prairie humide, une montagne que l’on contournera sur la gauche puis un lac au bord duquel se termine la deuxième étape de la randonnée. Le vent souffle encore très fort. Je parle à V de mes problèmes de pieds, il rétorque que nous trouverons sûrement un abri dans la vallée en contrebas. Nous descendons donc pendant 30 mn qui me semblent interminables. Arrivés au bord d’une petite rivière, nous croisons une tente jaune (qui aura plus tard son importance, c’est pourquoi je la signale ici), il fait très sombre maintenant. Le paysage fait penser aux décors des films d’horreur de Ed Wood. Le vent semble se calmer légèrement, alors que mes jambes me lâchent, je m’arrête, on plante la tente, je panse mes plaies pendant que V prépare le riz dans le noir le plus total.
Le repas avalé en peu de secondes, il ne nous reste alors plus qu’à trouver le sommeil dans nos duvets humides. Le froid et l’eau qui s’est immiscée partout nous obligent à adopter la position du fœtus.
Mais le souci est bien ailleurs. Car si on devine assez vite que la nuit sera pourrie, la tente m’inquiète. Le fait qu’elle ne soit plus imperméable passe encore, mais le vent, qui souffle en bourrasque, s’engouffre entre la toile et le toit puis engendre un claquement désagréable et violent. Les risques sont doubles, la tente peut s’envoler ou se déchirer et là, adieu l’Islande car nous ne pouvons nous permettre ni de dormir à la belle étoile sous ces latitudes, ni dans des hôtels à prix d’or. La nuit n’est que surveillance. Chaque coup de vent provoque un bruit suspect qui induit une sortie du duvet pour vérifier que tout est en place. A deux reprises, V sort de la tente, sous une pluie glaciale, pour refixer un coin de toit à sa sardine. Parfois, le vent se calme et nous dormons un quart d’heure. Mais c’est une feinte destinée à nous user davantage car il revient toujours plus puissant. Son souffle résonne continuellement dans nos cerveaux érodés. Vivement le matin que tout ça se termine. On fait un point sur l’heure, il est 9H15 et aucune accalmie.


Vue sur landmannalaugar