15 juin 2002
A l’office de tourisme, nous fûmes prévenus que la saison touristique n’avait pas encore commencée et que nous serons seuls dans le bateau qui relie Isafjordur à Hesteyri. Après mille recommandations de sécurité énoncées avec une pointe de compassion, un sentiment d’impatience nous prend aux tripes. Il nous tarde d’en découdre avec cette région, la plus sauvage et la plus inhabitée d’Islande. Deux heures sur un frêle esquif sont nécessaires pour atteindre le petit village d’Hesteyri isolé à l’extrême en cette période de l’année. Nous consultons la carte et partons immédiatement. En effet, il est presque 20h et une vingtaine de km nous attendent jusqu’à la première étape de notre parcours : Hlöduvik. Le sentier est difficile à suivre et nous nous égarons plusieurs fois, obligés, pour rejoindre la bonne route, de couper à travers les brousailles et de bondir par-dessus les ruisseaux. Les conditions sont loin d’être idéales, il fait très froid, il y a du vent et le chemin est rocailleux, humide et boueux. Nous rattrapons les cairns entre lesquels le sentier disparaît sous la glace (dès 100m d’altitude). La marche n’est pas aisée en cette période de fonte des neiges. La flore est assez pauvre et rase, le paysage est hostile, effrayant parfois. Nous longeons un fjord (Hesteyrarfjordur) dans lequel plongent une multitude de cascades encore recouvertes partiellement de neige. Nous sommes entourés de sommets sombres, le temps est triste avec des nuages noirs et bas. Le vent souffle de plus en plus violemment, il n’y a personne ni rien à perte de vue. Nous finissons par atteindre un col enneigé qu’il faut franchir.
Arrivés au sommet du col, nous apercevons, au loin, la côte nord d’Hornstandir. La vue est extrêmement spectaculaire voire apocalyptique. Nous avons la sensation d’être arrivé aux portes d’un enfer glacial, la couleur du ciel, modifiée par quelques rayons de soleil perçant les nuages noirs, est hallucinante. La plage de galets, recouverte de bois de flottage venu de Sibérie, est frappée régulièrement par la mer du Groenland sur laquelle nagent des colonies d’eiders à duvet. Malgré le froid et l’humidité, nous essayons de ne pas se laisser abattre par les émotions fortes et contradictoires que provoque ce paysage brutal et spectaculaire.
Les goélands tournent autour de nous à la façon lugubre de vautours affamés. Nous croisons de nombreuses carcasses d’oiseaux, signe que le renard polaire est ici et nous guette. Puis vient une rivière (50 cm de profondeur, 5 m de large) mais pas de pont, on la remonte, frigorifiés, sur 500m mais à aucun moment on ne peut la traverser. Nous en arrivons alors à la triste extrémité qui va ruiner la suite de notre randonnée. Nous enlevons nos chausses, chaussettes, on retrousse les pantalons et on plonge dans l’eau à 1°C. C’est très douloureux, les galets glissent et on manque à plusieurs reprises de chuter, les pieds gèlent au sens propre, et il faut faire vite car si 1 minute dans cette eau présente un certain danger, en revanche, 2 minutes laisseraient nos orteils dans une position relativement délicate. Une fois le gué franchit, nous décidons de continuer tant bien que mal car, c’est un fait établi, marcher réchauffe. Cependant, nos vêtements sont mouillés et les bourrasques de vent venant de la mer participent dangereusement à l’abaissement de nos températures corporelles. Le refuge d’urgence n’est plus qu’à quelques kilomètres mais mes ampoules me font assez souffrir. Sur la route, nous observons avec admiration des colonies de Garrots arlequin. Arrivés au shelter, dans un état second, on fait sécher nos fringues, on dévore une soupe aux bolets et on s’endort sur de confortables planches en bois emmitouflés dans de nombreuses et chaudes couvertures.
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