18 juillet 2002
Levé sous une grosse averse. Notre accoutumance à ces aléas climatiques devient importante et le seul élément qui nous effraie encore demeure le vent, capable d’un coup d’un seul de déchirer les entrailles de Jamet. On devient con avec cette tente, on lui parle, on lui prête un caractère jaloux, difficile. Elle ne supporte pas par exemple d’être plantée dans un camping car elle ne s’entend pas avec les autres tentes, quelles soient canadiennes ou igloo et peu importe leurs origines. Parfois, Jamet fait preuve d’orgueil et d’une certaine suffisance. A la côtoyer quotidiennement, elle est devenue pour nous une amie et une confidente qu’on manipule avec respect et douceur.
Bien installée dans les cales du bus, Jamet terminera tranquillement sa nuit tandis que nous observons sur la route qui longe la côte sud de l’Islande les premières langues glacières de l’imposant Vatnajökull se faufilant entre les hautes montagnes. Soudain, au milieu de rien, émerge Jökullsarlon.
Mais avant de vous parler de ce site, permettez-nous de petit déjeuner.
Le Vatnajökull, comme tous les glaciers, est sans cesse en mouvement. Les langues glaciaires forment autour du glacier de véritables tentacules dont l’avancée est conditionnée par deux phénomènes antagonistes. D’un côté la poussée du glacier fait avancer ces langues glaciaires charriant des cailloux appelés moraines vers l’océan. De l’autre, la fonte de la glace est provoquée par l’eau de mer, le climat ou l’altitude.
Si la fonte est plus importante que la poussée du glacier, la langue recule et inversement. Prenons maintenant un cas précis, celui du Drangajökull à Hornstrandir.
Visualisons ce glacier dont les langues énormes se jettent dans l’océan creusant la terre en arrachant très agressivement tous les éléments du sol et transportant ces derniers lentement mais sûrement vers le vaste Atlantique dont le niveau est bas. Nous sommes en période de glaciation, il y a des centaines de milliers d’années. Progressivement, on assiste à un réchauffement du climat avec deux conséquences importantes pour ce glacier. D’abord, la glace va fondre et les langues vont reculer jusqu’à disparaître laissant au passage les immenses vallées qu’elles ont creusées pendant leurs heures de froide gloire. Dans un second temps, le niveau de la mer augmente et vient submerger ces immenses vallées. Ce cycle se répétant inlassablement au cours des périodes glaciaires (froides) et interglaciaires (plus chaudes) du quaternaire, nous obtenons les Fjords de l’ouest.
Ici, le mécanisme est similaire mais les langues issues du Vatnajökull terminent leurs apogées dans un lagon (Jökullsarlon). Là, la glace se disloque, formant des icebergs de différentes tailles, dans un fracas étourdissant. Ces énormes glaçons dérivent dans le lagon direction l’océan libérant en fondant les fragments arrachés au sol en amont. Le courant glacier-océan est créé par un système de pompe d’aspiration, visualisable au niveau du chenal d’évacuation du lagon.
Mais, c’est hallucinant bordel. Les reflets de la glace sont sublimes. On se croirait dans un décor artificiel, irréel. Certains icebergs sont immaculés et leurs couleurs vont du blanc au bleu en passant par le gris. D’autres ont la translucidité des méduses et brillent comme des diamants lorsque les rayons du soleil viennent les frapper. D’autres encore sont salis par la poussière volcanique qui forme des bandes sombres en alternance avec la blancheur de la glace. Nous restons bouche bée devant ce spectacle unique.
Sortant de notre transe, nous décidons de nous approcher du front du glacier pour assister au décrochage d’un iceberg dans l’eau turbide de ce lagon enchanteur, mais une série de gués à répétition nous obligent à faire demi-tour. Cette frustration, loin de nous décourager, va nous permettre de faire une incroyable rencontre. En effet, un animal posé sur un monticule de tourbe, se met à tournoyer autour de nous en criant violemment. Il s’agit du grand Labbe. Quel bel oiseau et quelle taille imposante ! Celui ci possède la particularité de défendre son nid à la manière de la Sterne arctique ou du Goéland marin, c’est à dire agressivement. Mais ses proportions confèrent à ce comportement une plus value de dangerosité. On le sait, alors on va le taquiner histoire de voir ce que ça fait de se faire attaquer par ce monstre. Et bien, lorsqu’il fond sur vous pour repiquer à quelques mètres de votre tête épouvantée, ça impressionne mais c’est une expérience inoubliable, âmes sensibles s’abstenir. Cependant, elle est à réaliser avec modération, ce grand laridé n’appréciant pas outre mesure d’être emmerdé constamment par de jeunes cons de notre espèce. Laissant donc le labbe à sa vie de couple et à ses œufs, nous revenons au café et attendons le coucher de soleil avec la certitude que les variations de luminosité jouant sur les amas de glace flottants récompenseront généreusement vos humbles narrateurs fatigués.
Le résultat est à la hauteur de nos espérances, on peut mourir heureux.
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