25 - 26 juillet 2002
Le lendemain, vers 8 heures, nos corps reposés peuvent repartir. Nous remercions longuement et sincèrement le groupe très hospitalier et retrouvons le sentier pour Thorsmork mais le ventre calé cette fois. Les averses se font plus rares mais le vent reste fort. La végétation retrouve progressivement sa densité. Les bords des rivières sont décorés de gentianes et d’Arctic riverbeauty (une épilobe déjà croisée sur les rives de la Jökùlsa mais toujours aussi belle).
Parvenu au sommet d’une colline, j’attends un Blaise diminué par son manque de peau pédestre. Nous touchons presque à la fin de cette ultime étape et, après avoir traversé un gué au fort courant, nous pénétrons enfin au sein des vallons boisés de Thorsmork. Les fleurs abondent. J’y découvre avec joie la sixième et ultime orchidée poussant en Islande : La Listère à feuilles cordées. Comme pour nous souhaiter la bienvenue, la pluie s’arrête de tomber. On en profite pour faire sécher nos affaires et installons la tente au milieu de bouleaux généreux et protecteurs. La fatigue accumulée pèse sur nos paupières peu de temps après et nous nous endormons.
26/07/02
Après une nuit agréable, nous accomplissons notre rituel café-cigarettes avec la sympathique famille du Jura. Les nuages sont revenus et le temps, comme depuis deux jours, présente une alternance de pluie et de grisaille. Parfois un rayon de Râ perce l’épaisse couche nuageuse provoquant l’apparition de magiques arcs-en-ciel. La mythique randonnée Landmannalaugar Thorsmork est terminée. Là, deux choix s’offrent aux randonneurs : soit une longue et douloureuse étape supplémentaire jusqu’à Skogar, coût 0 couronne, soit un retour en bus jusqu’à Hvolsvöllur pour la somme scandaleuse de 2000 couronnes par personne. Nous, on décide de continuer jusqu’à Skogar 25 Km plus au sud.
La première difficulté apparaît rapidement : c’est un gué que nous franchissons grâce à la méthode de V. La route nous mène jusqu’à de verdoyantes gorges protégeant du vent de petites forêts d’angéliques. Nous bondissons de rochers en tapis de mousse avec l’agilité du gibbon, mais je reste circonspect. Il me semblait que le chemin prenait rapidement de l’altitude, or nous ne montons guère. Après une heure de marche environ, V se retourne vers moi et m’indique que nous sommes vraisemblablement perdus. Mes soupçons confirmés et après analyse de la route et courtes escalades au sommet de cette gorge, nous rebroussons chemin. Là, nous croisons de nouveau nos amis jurassiens en passe d’emprunter le même chemin biaisé que nous. Soudain, la jeune fille des montagnes aperçoit un piquet blanc, victoire ! On continue vers le Myrdalsjökull (glacier dont le sein abrite un volcan très actif, le Katla). V, comme à son habitude, navigue en tête de cortège, je le suis à un rythme qui s’améliore tant que mes pieds restent indolores à défaut d’être inodores. Nous grimpons un col jusqu’à un plateau à 800 m d’altitude puis grimpons encore dans la neige jusqu’à 1 100 m environ. Nous parvenons finalement à un vaste plateau neigeux. Le temps qui alternait entre pluie, vent et grisaille alterne, maintenant que nous sommes en altitude, entre grêle, neige et grisaille. Tout est blanc, la neige, le ciel, le lac et le petit cratère que nous croisons, tout quoi. Derrière nous, la forêt de Thorsmork nous rappelle un délicieux et rassurant souvenir, mais ce passage entre deux majestueux glaciers (le Myrdalsjökull et l’Eyjafjallajökull) dont les langues zébrées de fils morainiques et sombres tombent en cascades dans la plaine alluviale que nous quittons présente toutes les caractéristiques du paysage merveilleux, ancré à jamais dans nos mémoires.
Nous atteignons en deux heures de marche sur la glace un petit refuge d’où sort le groupe de Français qui nous avaient offert l’hospitalité avant hier soir. Nous les saluons, leur rendons leur sourire et partageons avec eux nos impressions sur le décor majoritairement blanc. Dans cette troupe, il y avait des gens très sympathiques et accueillants. Seule ombre au tableau, un chef d’entreprise anti-écologiste qui confond encore écologie (science pluridisciplinaire visant à comprendre et à améliorer l’environnement pour la sauvegarde du patrimoine naturel de la planète) et fumeurs de joints à chemise à fleur pour qui le monde tourne autour de la fabrication de fromage de chèvre dans la Larzac. V et moi nous sentons proches du berger des Pyrénées, nous sommes souvent en désaccord avec les industriels mais on sait que le monde ne peut plus tourner sans pollueurs et polluants. Nous sommes des scientifiques pas des utopistes. Seulement, il faut limiter les dégâts en attendant des solutions toujours moins nocives pour faune, flore, milieux naturels et, par extension, hommes. Des progrès ont été réalisés ces dernières années montrant bien que l’utopie ne peut être atteinte mais qu’il faut tendre vers.
Et puis l’écologiste pointe du doigt l’inacceptable, alors oui, monsieur nous sommes jeunes et nous avons la foi que vous avez perdue en gagnant du gras après mai 68. Vos rêves se sont métamorphosés en adipocytes, nous, on y croit encore et tant pis s’il est inutile, illusoire et irréalisable de trouver moins polluants que le pétrole ou tous ces produits qui finissent dans nos rivières. Alors, oui, le bio n’est qu’une mode, mais c’est toujours mieux que si la mode, et elle l’est pour une catégorie de personnes, consistait à nettoyer les cuves des bateaux en méditerranée. Alors, oui, monsieur pour l’instant le nucléaire fonctionne mieux que le solaire ou l’éolien, mais est-il insensé de croire que le premier doit être progressivement être remplacé par les seconds? Nous préférons nous taire et nous adresser davantage aux jeunes générations qui décideront de l’orientation qu’ils veulent donner à la gestion de leur planète. Mais contrairement à vous et grâce à nous, ils connaîtront les conséquences des erreurs qu’ils pourraient accomplir. Tant pis si nous ne pouvons nous comprendre.
Houlà, je m’enflamme un peu, mais revenons à V qui, à l’entrée du refuge m’accueille avec un faciès mi-figue mi-pépin. L’entrée, pour se faire cuire des haricots est de 300 couronnes. Nous nous séchons donc un peu et repartons direct. On préfère quand c’est gratuit. Ceci dit, le brouillard commence à envahir les alentours mais nous apercevons de loin l’océan Atlantique, quasi-but de notre randonnée. Plus loin, un autre refuge plus crade mais gratos est habité par de nombreux Allemands et nos amis du Jura. Nous partageons un repas et continuons. A partir de maintenant, ça descend et ce qui est bien quand ça descend c’est que l’effort ne sollicite plus les mollets qui peuvent se reposer. Quant aux articulations du genou, c’est à leur tour de trinquer. Nos pieds, eux, sont aussi plats que ceux d’une oie.
Sur la route, nous longeons de magnifiques gorges au milieu desquelles circulent à vive allure les eaux limpides et claires d’une rivière dont le lit irrégulier l’oblige parfois à plonger en une multitude de cascades.
Nous arrivons à Skogar vers 22 heures et nous sommes déçus. Pas de supermarché, le café est fermé, pas de journalistes de DV (quotidien islandais) venus nous féliciter d’avoir accompli dans de telles conditions 75 Km en 3 jours, pas de femmes nues, juste une petite ville construite autour de trois fermes et d’une cascade (Skogafoss) haute mais pas très belle. Sur ce, on plante Jamet dans une petite forêt surplombant un hôtel hors de prix et, fourborts, on s’endut.
<< Home