30 mai 2002
En effet, la grande majorité de l’économie islandaise repose sur la pêche, et ses dérivés, qui représente plus des deux tiers des exportations du pays.
La conservation des stocks halieutiques (de poisson) demeure donc capitale pour la nation islandaise dans son ensemble. En effet, afin que la régénération des populations de certaines espèces de poissons s’harmonise à l’activité commerciale dont elles sont la cible, des mesures sévères ont été prises, notamment, et nous y reviendront, la politique des quotas qui, malgré une application qui semble difficile pour les pêcheurs des petits ports islandais, reste l’unique chance pour le pays de conserver cette formidable ressource biologique et économique.
Le problème de la pêche reste donc d’actualité mais Mr Mathiesen semble bien optimiste quant au fait qu’une solution existe.
En effet, le système des quotas essuie de nombreuses critiques, notamment par un éminent professeur d’anthropologie Gissli Palson qui dénonce toutes dents dehors :
« L’océan devient un laboratoire, un aquarium »
C’est une vision intéressante et, afin d’en apprendre davantage sur ce fameux et contreversé système de quotas, nous décidons de nous rendre à l’université de Reykjavik.
Gissli Palson est un homme grand, plutôt classe, courtois et attentif. Après nous avoir offert un café, il écoute le pourquoi de notre venue. Nous lui posons, alors, la question, il est vrai un peu vague, quelle est la relation entre les Islandais et leur environnement ?
Le débat est lancé mais pas de réponse. Décontenancés, nous réitérons poliment mais M. Palson semble se défausser derechef. Après dix minutes durant lesquelles la gène nous gagne devant ce comportement inattendu et intrigant, il commence à nous évoquer brièvement le thème de la pêche et des ouvrages traitant de ce domaine.
Il apparaît que lorsque l’écologie est abordée en Islande, les discussions s’orientent rapidement vers la pêche. Comprendre la pêche en Islande, c’est quelque part comprendre l’Islande. En effet, la grande majorité de la population se répartit le long des côtes islandaise, aux eaux bleues métallisées, poissonneuses et froides. Nous décidons, après cette entrevue, de nous rendre à la bibliothèque universitaire de Reykjavik afin de répondre à nos attentes car si les livres n’écoutent pas les questions, ils répondent à pléthore d’entre elles.
Ô chance, les livres de Mister Palson sont disponibles en anglais. Facilement décryptables, nous nous ruons donc vers ces derniers.
Nous y apprendrons des détails passionnant concernant l’historique de la pêche jusqu’à l’indépendance de l’Islande en 1944.
Les vikings, qui ont conquis l’Islande aux alentours du Xème siècle, étaient à la recherche de nouvelles terres cultivables. Cependant, la population, initialement des fermiers, s’est rapidement aperçue de l’inépuisable richesse des ressources halieutiques au sein des eaux côtières islandaises.
Jusqu’au XVIIème siècle, la pêche est très rudimentaire. Les pêcheurs ne s’éloignent guère des côtes et utilisent des bateaux de petite taille.
Dès la fin de ce siècle, des lignes de pêche, importées d’Europe permettent une exploitation des eaux plus profondes.
En 1850, le premier collège de pêche est créé. Il s’ensuit un développement très rapide, tant au niveau de l’équipement que des infrastructures portuaires et des navires. Ces derniers s’améliorent encore avec l’apparition de l’informatique dans la deuxième moitié du XXème siècle. En 1920, le service météorologique est créé. Auparavant, les pêcheurs établissaient leurs propres prévisions en consultant le ciel, les nuages, les étoiles et le comportement des oiseaux. Cette méthode était relativement fiable, mais les accidents, trop fréquents, poussèrent l’Islande, en 1930, à fonder une première association de sauvetage.
Cette évolution des moyens, entre le XIXème et le XXème siècle, répond au besoin de rivaliser avec les étrangers qui exploitent eux aussi les eaux islandaises avec des moyens supérieurs. En effet, dès le XVème siècle, les Anglais y puisent allégrement une énorme quantité de poissons de toutes sortes, puis arrivent les Allemands, les Basques, les Portugais, les Espagnols, les Français et les Américains.
Jusqu’au début du XXème siècle, la pêche était une activité prestigieuse. Les portraits de capitaines téméraires trônaient dans de nombreuses maisons et leurs aventures ont intégré la littérature islandaise.
Initialement masculine, la pêche incorpore progressivement les femmes, dès le début du XXème siècle. Elles préparaient les sorties en mer, l’équipement, puis s’occupaient des denrées rapportées : découpage, séchage, fumage.
Dès 1944, l’effort de pêche (moyens de capture mis en œuvre) augmente. Ceci provoque une relative diminution des ressources halieutiques, certaines populations de poissons voient même leurs effectifs chuter dramatiquement. En 1948, une loi est ainsi votée pour protéger les stocks de morues. L’intervention des scientifiques apparaît dès les années 50 afin de participer à l’évaluation des populations de poissons.
Les Islandais cherchent, également, à protéger et à, progressivement, agrandir leurs eaux territoriales.
De 3 à 4 miles nautiques en 1952, cette limite passe à 12 miles en 1958 pour atteindre 200 miles en 1976.
Les années soixante-dix marque la fin de la « guerre de la morue » entre islandais, anglais et allemands. Les prises de morue (principale source d’économie) ne cessent de diminuer tandis que les efforts de pêche ne cessent d’augmenter. Durant ce temps, la pêche reste abusive et en 1982 la population islandaise s’inquiète devant la dynamique toujours décroissante des stocks de poissons. Les politiciens et plusieurs groupes d’intérêt suggèrent la mise en place de mesures destinées à lutter efficacement contre la désertification des océans. Cette prise de conscience aboutit en 1983 à la formation d’un système de quotas par un organisme, l’HAFRO, qui va être créé dans le but de déterminer les stocks halieutiques de différentes espèces de poissons et établir des prises maximales pouvant être prélevées par les pêcheurs et ainsi maintenir ces stocks. Ces quotas sont ensuite transmis au ministère de la pêche, qui, après les avoir modifiés de plus ou moins 30%, les redistribue aux pêcheurs. Ces derniers se voient attribuer une quantité maximale de prises, établie sur une moyenne des 3 années précédentes de capture.
Concernant la méthode des quotas, plusieurs commentaires :
Les méthodes d’estimation, malgré l’amélioration de leur précision, demeurent incertaines. Il est, en effet, très difficile de déterminer des populations réparties dans une aire de grande superficie, en l’occurrence l’océan, que nous ne pouvons observer dans son intégralité.
Les populations de poissons suivent des fluctuations anthropiques (liées à l’Homme) mais également naturelles. Ainsi, une baisse significative des stocks ne sera pas forcement la conséquence d’une pêche abusive.
Aujourd’hui, le statut de certaines espèces reste préoccupant (par exemple l’egglefin) et les efforts de conservation doivent être maintenus.
Les chiffres obtenus indiquent clairement un ralentissement de la diminution des stocks de poissons, mais avec quelle fiabilité ?
La méthode des quotas a également révolutionné le monde de la pêche en Islande. Les parts de quotas s’échangent individuellement entre travailleurs et certaines entreprises en ont récolté de nombreuses. Des villages de pêcheurs ont ainsi disparu car le trop petit nombre de parts qu’il leurs restait ne leur permettait plus de vivre de leur activité. *
Ainsi, le nombre de pêcheurs et de bateaux a diminué considérablement, laissant une grande partie de la population se diriger vers d’autres activités. Cette méthode a, enfin, fortement altéré la relation homme-océan islandaise.
La pêche ancestrale et agressive des siècles passés est terminée. L’heure de la reconnaissance par le tonnage est oubliée. Il s’agit maintenant de préserver la ressources, à l’origine de 85% de l’économie islandaise.
L’entrée dans l’UE semble pour les mêmes raisons totalement exclue, car le système européen, largement influencé par les espagnols et les portugais, aboutirait à une probable ruine de l’Islande ainsi qu’une rupture totale et imminente des stocks de poissons.
Ce thème fit l’objet d’un joli film franco-norvegico-islandais « The sea » de Baltasar Kormakur sorti en 2003 avec entre autres Hélène de Fougerolles.
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