06 juillet 2002

Dauphins a flancs blancs


Levé difficile car nous n’avons plus de café soluble. Nous plions bagages et arrivons pas frais du tout au supermarché de Reykjahlid où le bus arrive juste. On y installe nos sacs qui, sans propriétaires, seront gardés au chaud dans l’office de tourisme d’Egilstadir. Nous les retrouverons dans quelques jours sans risques de vol puisque cette pratique n’existe pas encore en Islande. Allégés du surplus, nous gagnons la sortie de la ville, direction Husavik. Après quarante minutes de stop, un constat s’impose : il n’y a pas de voitures. C’est donc en bus, et au prix scandaleux de 1300 couronnes par personne, que nous parcourons les 54 km qui nous sépare de la ville aux baleines.
A peine arrivés, on prend nos tickets pour aller voir les cétacés à 20 H ce soir. Du coup, on a le temps d’enregistrer une émission radio pour nos concitoyens bordelais et on traîne un peu dans un café très «cosy » du centre ville. Plus tard, et pendant que Blaise danse le tango avec les serveuses du bar, je m’exerçe au piano dans l’église luthérienne.
Le temps passe, paisiblement jusqu’au début de soirée et nous nous rendons sur le port dans lequel repose le bateau de la compagnie de Whale Watching (traduire par observation de baleines). Nous sommes une dizaine inscrits à cette séance.
Une speakerine à bord, hésitante, nous présente les différents animaux demeurant dans le fjord et potentiellement observables. Les probabilités sont évidemment différentes et la baleine bleue ne sera en principe visible que sur les dépliants. Il en est de même du narval devenu rare. Autrefois, les pécheurs islandais, vendaient très cher à de naïfs européens, les dents des narvals mâles, en leur faisant gober qu’il s’agissait de cornes de licorne.
Quarante cinq minutes passent lorsque nous apercevons ce qui sera la seule baleine du voyage : le petit rorqual. La rencontre avec ce mammifère de onze mètres est émouvante. Le problème c’est qu’on ne sait jamais ni où ni quand l’animal va apparaître. Le défi c’est d’essayer de prendre des photos. Après moult tentatives dont la réussite repose essentiellement sur la chance, Blaise pose l’appareil car il s’agit désormais de savourer plutôt que d’immortaliser. De mon côté, j’ai déjà et depuis longtemps, lâché mes jumelles et contemple le spectacle.
Mais il se déplace le bougre, alors le bateau suit l’animal et le pilote (ancien chasseur baleinier) coupe le moteur à l’endroit où il pense que la baleine va remonter respirer. Les touristes attendent et la tension, palpable, se relâche soudainement lorsque le rorqual pointe son aileron au-dessus des eaux. Le pilote reprend la traque, pendant quinze minutes après quoi nous laissons le cétacé à d’autres pupilles. Nous approchons des montagnes accompagnés de phoques veau marins et de nombreux macareux, toujours plus agiles à plonger qu’à voler. Au loin, surgissent alors des dauphins bondissant joyeusement hors de l’eau ainsi que des attroupements de marsouins. Le bateau s’approche doucement et pendant trente minutes environ nous observons ces mammifères fendre les eaux poissonneuses, parfois suivis d’opportunistes pétrels affamés.
Voilà, il est 22H30 et le bateau retourne au port. Le bilan est bon, pas extraordinaire mais il peut facilement être pire. Nous sommes donc satisfaits. Cela dit, je ne suis pas émerveillé de ce que j’ai vu, j’en suis ému. J’ai peine à penser que l’homme a chassé ces mammifères jusqu’aux prémisses de l’extinction, mais, de toute évidence la baleine doit rapporter de l’argent. Les bateaux remplis de touristes sillonnent alors dix fois par jour ces mêmes eaux afin de montrer la magie et la souveraineté de ces animaux contre couronnes sonnantes et trébuchantes. Il est probable que les flashes des appareils photos dérangent moins les cétacés qu’un coup de harpon. Pourtant, je doute fort qu’elles apprécient les bruits de moteur et cette traque permanente.
Krill où es-tu ? Comment peux t’on ne pas aimer ces animaux ! Ils sont majestueux, sortent de l’aube des temps et du fond de l’océan opaque et froid. Alors si, je l’avoue, j’ai pris plaisir à les observer, je souhaiterais néanmoins qu’on leur foute la paix. La chasse est terminée et c’est tant mieux, mais le Whale watching, il s’agit d’être honnête, ressemble à s’y méprendre à un safari. Je ne sais quoi penser mais protéger les animaux, consiste souvent à ne pas les exposer à la traque de touristes curieux et à les laisser en paix et respectant leur milieu. Cependiantre, c’est de contempler la faune sauvage qui donne envie de la préserver. De ce dilemme je vous parle mais je n’irai pas plus loin, le problème étant trop complexe voire insoluble.
Comme le signale Blaise, homme de synthèse, «protéger l’environnement, ce serait s’entasser en ville comme des merdes et laisser le reste à la nature ». Cet extrémisme, quoique partiellement ironique, laisse entrevoir la problématique de la place de l’homme dans cette nature. Nous en parlerons une bonne partie de la nuit.